Préambule : cet article traite de la surmédicamentation et non de la médicamentation en tant que telle ; ni de la médication, qui englobe l’intégralité des moyens thérapeutiques, médicamenteux ou non, utilisés pour soigner . En effet, de nombreux enfants atteints de certains troubles tels que le TDAH peuvent avoir besoin d’un traitement médicamenteux adapté afin de se développer harmonieusement. Dans ces situations, il est nécessaire d'aborder le sujet avec un médecin.
L'extrême médicamentation des enfants est un sujet complexe qui mérite une attention particulière. Les prescriptions de médicaments chez les jeunes, notamment pour les troubles du comportement et les troubles de l’attention, ont considérablement augmenté au cours des dernières décennies. Ce phénomène soulève des questions sur les attentes sociétales et leurs impacts dans les pratiques médicales.
Montée en flèche de la surmédicamentation chez les enfants : pourquoi ?
L'augmentation des diagnostics de troubles tels que le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) (sujet déjà abordé dans le Blog de LTHK) et d’autres problèmes de santé mentale chez les enfants a été accompagnée d'une hausse significative de l'utilisation de médicaments, tels que les psychotropes ou les stimulants. D’après plusieurs études, les prescriptions de ces médicaments chez les enfants ont grimpé de manière exponentielle, notamment dans les pays occidentaux (Banaschewski, Rohde, & Döpfner, 2017). Il est crucial de comprendre les raisons qui sous-tendent ce phénomène.
Tout d’abord, une meilleure reconnaissance des troubles psychologiques chez les enfants peut expliquer une partie de cette hausse. Dans le passé, de nombreux problèmes comportementaux ou cognitifs n'étaient pas diagnostiqués correctement. Aujourd'hui, grâce aux avancées scientifiques et médicales, les professionnels de santé sont mieux formés pour identifier ces troubles. Cela permet aux enfants concernés de recevoir une prise en charge plus rapide et plus adaptée.
Ensuite, les attentes sociétales jouent également un rôle. La société a de plus en plus d’exigences envers les enfants en matière de performances scolaires et comportementales. Dans ce contexte, où les parents peuvent faire face à des pressions académiques ou sociales, ces derniers sont à la recherche des meilleures solutions pour aider leurs enfants à s'intégrer et à réussir. Les médicaments peuvent alors apparaître comme une réponse immédiate aux difficultés rencontrées, notamment lorsqu'ils apportent une amélioration visible des symptômes.
Cependant, l’efficacité des médicaments, bien que souvent indéniable dans certains cas, pose aussi la question de leur utilisation à long terme. Des recherches montrent que si les médicaments peuvent apporter des résultats rapides en termes de gestion des symptômes, ils ne traitent pas toujours les causes sous-jacentes des problèmes (Faraone & Biederman, 2019). Cela soulève donc la nécessité d'une réflexion sur l'équilibre entre médicaments et autres formes de prise en charge.
Les effets à long terme de la médicamentation excessive chez les enfants
L'usage prolongé de médicaments pour traiter des troubles comportementaux ou psychiatriques chez les enfants soulève des préoccupations quant à leurs effets à long terme. Les recherches actuelles sont encore en cours pour évaluer pleinement l'impact des traitements pharmacologiques sur le développement global des enfants, mais plusieurs domaines méritent une attention particulière. Ces effets peuvent être physiques, cognitifs, émotionnels et sociaux.
Impact sur la croissance physique
De nombreux médicaments utilisés pour traiter des troubles comme le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), notamment les stimulants, peuvent affecter la croissance physique de l'enfant. Ces médicaments sont connus pour réduire l’appétit, ce qui peut entraîner une diminution de la prise de poids et un retard de croissance chez certains enfants. Plusieurs études ont montré que les enfants sous traitement stimulant peuvent présenter un ralentissement de la croissance au cours des premières années de traitement (Poulton, 2018).
L'impact sur la taille et le poids des enfants peut varier en fonction de la durée et de la posologie du traitement. Dans certains cas, ces effets peuvent être transitoires et réversibles à l'arrêt du médicament, mais chez d'autres, le retard de croissance peut persister. Des études à long terme sont encore nécessaires pour déterminer si ces enfants rattrapent leur retard de croissance à l'âge adulte ou si les effets persistent au-delà de l'adolescence.
Face à ces préoccupations, les médecins surveillent régulièrement la croissance des enfants sous médicamentation et ajustent les doses ou envisagent des pauses médicamenteuses (« vacances médicamenteuses ») pour atténuer cet effet secondaire. Cependant, cette approche dépend de l’enfant et de la sévérité de ses symptômes, ce qui nécessite une prise en charge individualisée.
Conséquences sur le développement cérébral
Le cerveau des enfants est en plein développement, et l'impact des médicaments sur la neuroplasticité, c’est-à-dire la capacité du cerveau à se remodeler, est une question clé. Certains médicaments psychotropes, comme les stimulants ou les antipsychotiques, agissent sur les neurotransmetteurs comme la dopamine et la sérotonine, qui jouent un rôle essentiel dans le développement cérébral.
Des études suggèrent que l'exposition prolongée à ces médicaments pourrait potentiellement altérer certains processus de maturation du cerveau, notamment dans les régions impliquées dans la régulation de l’attention, des émotions et de la prise de décision (Faraone & Biederman, 2019). Toutefois, les résultats de ces études ne sont pas encore suffisamment concluants, et il est difficile de prédire avec certitude les effets à long terme sur le fonctionnement cognitif global.
Les recherches doivent encore clarifier si ces altérations sont réversibles après l'arrêt du traitement ou si elles laissent des séquelles durables. L'une des préoccupations est de savoir si ces médicaments, qui modifient l'équilibre chimique du cerveau, peuvent influencer le développement de troubles psychiatriques plus tard dans la vie, comme la dépression ou l'anxiété.
Effets sur la régulation émotionnelle
Les médicaments psychotropes, en particulier les antidépresseurs et les antipsychotiques, sont parfois utilisés pour aider les enfants à réguler leurs émotions, en particulier ceux souffrant de troubles de l'humeur, de troubles anxieux ou de troubles de la conduite. Bien que ces médicaments puissent apporter un soulagement immédiat des symptômes, leur usage prolongé peut perturber l’apprentissage naturel des compétences émotionnelles.
Les enfants sous médicamentation à long terme peuvent avoir du mal à développer des mécanismes internes pour gérer leurs émotions sans l'aide d'une substance externe. Cela peut entraîner une dépendance émotionnelle aux médicaments, où l’enfant ne parvient plus à faire face au stress ou à l’anxiété sans recours à la pharmacothérapie. Bien que les antidépresseurs, par exemple, puissent stabiliser l’humeur, leur arrêt peut parfois provoquer un rebond des symptômes, ce qui complique encore la gestion des émotions à long terme (Hinshaw & Scheffler, 2014).
Face à une telle situation, il existe des solutions. Un accompagnement thérapeutique, tel que la thérapie cognitive et comportementale (TCC), est souvent recommandé en parallèle de la médicamentation pour aider les enfants à développer des stratégies d’adaptation indépendantes. Cela permet de réduire progressivement leur dépendance aux médicaments tout en les aidant à construire une résilience émotionnelle.
Risques liés à la dépendance et à la tolérance
Certains médicaments, notamment les stimulants prescrits pour le TDAH, peuvent entraîner des phénomènes de tolérance, c’est-à-dire que l’efficacité de la dose initiale diminue avec le temps, obligeant à augmenter les doses pour obtenir les mêmes effets. Ce processus peut potentiellement conduire à une dépendance psychologique, où l’enfant ressent le besoin constant de prendre des médicaments pour bien fonctionner.
Cependant, les études montrent que lorsque ces médicaments sont prescrits dans un cadre médical strict, le risque de dépendance physique est relativement faible (Faraone & Biederman, 2019).
Effets sociaux et relationnels
Enfin, l'usage prolongé de médicaments peut avoir un impact sur les interactions sociales et le développement relationnel des enfants. Certains médicaments, en particulier les antipsychotiques et les stabilisateurs de l'humeur, peuvent entraîner des effets secondaires tels que la somnolence, la léthargie ou des changements dans la personnalité de l’enfant, ce qui peut affecter leur capacité à interagir avec leurs pairs ou à s'intégrer dans des activités sociales (Poulton, 2018).
Les enfants sous traitement médicamenteux peuvent également être stigmatisés par leurs camarades, ce qui peut nuire à leur estime de soi et à leur image sociale. Les enfants peuvent se sentir « différents » ou « malades » en raison de leur médicamentation, ce qui peut entraîner des problèmes d'intégration sociale.
Face à cette situation, il est essentiel d’apporter un soutien aux enfants grâce à un environnement bienveillant et de leur offrir un soutien psychosocial. Des activités en groupe, des thérapies de groupe ou des programmes de renforcement de l’estime de soi peuvent jouer un rôle crucial pour favoriser l'intégration sociale et le développement des compétences interpersonnelles chez les enfants sous traitement.
La surprescription : un risque à surveiller pour éviter l’extrême médicamentation des enfants
Le risque de surprescription est une autre préoccupation majeure lorsque l'on aborde le sujet de l'extrême médicamentation des enfants. Cette surprescription peut être favorisée par plusieurs facteurs, notamment la pression sociétale pour que les enfants se conforment à des normes comportementales et académiques strictes, ainsi que par la volonté de soulager des symptômes et d’aider l’enfant.
Dans certains cas, des enfants présentant des comportements jugés difficiles ou des troubles légers peuvent se voir prescrire des médicaments alors que des approches alternatives ou moins intrusives auraient pu être envisagées. Le problème ici n'est pas tant le recours aux médicaments en soi, mais plutôt le fait qu'ils peuvent être utilisés de manière systématique sans que des solutions complémentaires ou non pharmacologiques aient été explorées en premier lieu (Hinshaw & Scheffler, 2014).
La surprescription peut aussi découler d’un manque de ressources dans les écoles ou les structures éducatives. Cette situation met en lumière la nécessité de renforcer les ressources en santé mentale, à la fois pour les enfants et pour les professionnels qui les accompagnent.
L'importance d’un diagnostic précis et rigoureux pour éviter la surprescription
Une solution essentielle pour limiter les risques de surmédicamentation est de garantir un diagnostic précis avant de prescrire des médicaments à un enfant. Il est crucial de s’assurer que les troubles identifiés sont bien le reflet d'une pathologie nécessitant une intervention pharmacologique et non une réaction à des circonstances temporaires ou environnementales, telles que le stress familial ou scolaire.
Certains symptômes qui peuvent ressembler à ceux du TDAH, par exemple, peuvent être liés à des facteurs externes comme des problèmes relationnels ou des difficultés d'apprentissage. Un diagnostic rigoureux, basé sur une évaluation complète de l’enfant, permet de s’assurer que la médicamentation est bien adaptée aux besoins spécifiques de l’enfant et qu'elle n'est pas utilisée de manière excessive (Greene, 2007).
Favoriser les approches alternatives pour lutter contre la surmédicamentation
Pour répondre aux défis posés par l’extrême médicamentation des enfants, il est utile d’explorer et de promouvoir des approches alternatives aux traitements médicamenteux. Ces approches ne cherchent pas à remplacer les médicaments dans tous les cas, mais à les compléter ou à les limiter lorsque cela est possible, en offrant des solutions moins intrusives et parfois plus durables.
Parmi ces approches, il y a notamment :
- Les thérapies cognitives et comportementales (TCC), qui se concentrent sur la compréhension du système “situation-émotion-pensée-comportement”, en s’appuyant sur les colonnes de Beck comme outil thérapeutique ;
- La thérapie par le jeu, particulièrement adaptée aux enfants les plus jeunes et n’arrivant pas à verbaliser leurs émotions ;
- L’art-thérapie et la thérapie par le mouvement, permettant aux enfants d’utiliser leur créativité pour s’exprimer.
Pour en savoir plus sur ces approches alternatives, La Tribu Happy Kids vous invite à lire son article consacré au sujet !
En conclusion, l'extrême médicamentation des enfants est une problématique complexe, mais elle ne doit pas être vue comme une simple opposition entre pour et contre la médicamentation. L'objectif est de trouver un équilibre, en assurant que les traitements pharmacologiques soient utilisés de manière judicieuse, parfois en complément d'autres approches thérapeutiques. Les parents, les professionnels de santé, et les éducateurs, qui ont tous à coeur le bien-être de l’enfant, peuvent collaborer et s’entraider pour explorer des solutions adaptées aux besoins de chaque enfant, en privilégiant une approche globale qui tienne compte de leur développement à long terme.
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Sources
Banaschewski, T., Rohde, L. A., & Döpfner, M. (2017). Attention-deficit/hyperactivity disorder. The Lancet Psychiatry, 4(5), 359-371.
Faraone, S. V., & Biederman, J. (2019). Neurobiology of Attention-Deficit Hyperactivity Disorder. Biological Psychiatry, 85(1), 50-58. Greene, R. W. (2007). Lost at School: Why Our Kids with Behavioral Challenges Are Falling Through the Cracks and How We Can Help Them. Scribner.
Hinshaw, S. P., & Scheffler, R. M. (2014). The ADHD Explosion: Myths, medication, Money, and Today’s Push for Performance. Oxford University Press.
Poulton, A. (2018). Growth and puberty in children with attention-deficit hyperactivity disorder. Journal of Paediatrics and Child Health, 54(5), 484-490.